Bonjour ! Dans le cadre de notre pédagogie sur la gestion du massif de Fontainebleau, nous avons décidé de donner la parole à l’Office National des Forêts et plus précisément Matthieu Augery, responsable du service forêt de l’agence Ile-de-France (il s’occupe du volet gestion durable, sylviculture, gibier, santé de la forêt, etc. Après une rencontre sur le terrain concernant le réchauffement climatique, il avait accepté, de répondre à nos questions incisives, remettant en question le plan d’aménagement 2016-2035, qui fixe les orientations sylvicoles du massif pour vingt ans. Un plan préparé en 2013-2014 et que beaucoup de protecteurs de la nature, estiment largement dépassé. Cette interview réalisé l’été dernier, avait été mise de côté, car il manquait quelques réponses. Mais au vu des coupes actuelles et de l’urgence écologique, nous avons choisi, dans un premier temps de la publier telle quelle. Chacun se fera son opinion. Nous la commenterons plus tard, avec de nombreux éléments d’actualité et d’histoire du massif.
RE: Questions sur le plan d’aménagement 2016-2035 et sur les méthodes de sylviculture
Bonjour M. Villebeuf,
Comme convenu, j’ai essayé de répondre à vos interrogations sur le document d’aménagement de la forêt de Fontainebleau. Mes réponses sont en bleu en dessous de vos questions.
Questions sur les coupes
1)quel est le volume exact des coupes pour l’exercice 2020-2021 J’avais le chiffre de 40 000 M3 Parmi ce volume, quelle est la quantité de chênes, de hêtres et de résineux (lesquels)
• Pour l’Etat d’Assiette 2020 ( à cheval sur 2019/2020), nous avons martelé 39600 m3. Les chênes représentent 25 % du volume, les pins (à 95% du pin sylvestre) 36 % du volume, le hêtre 12%.
• Pour l'Etat d'Assiette 2021 (qui correspond à la saison de martelage entre l'automne 2020 et maintenant) je n'ai pas encore les données finalisées. A priori, les volumes devraient être nettement plus faibles que l’année précédente.
Même question pour la saison 2021-2022 Quel volume de coupes annonçé et les M3 en différents types de peuplements
• A ce jour, je ne connais pas encore la répartition des différentes coupes retenues pour l’Etat d’Assiette 2022. C’est justement le travail actuel des équipes de techniciens sur le terrain.
Quels secteurs de la forêt seront concernés par les coupes et cloisonnements en. 2021-2022 ?
• Réponse similaire à la précédente. A ce jour, pas encore d’informations. Cela doit faire l’objet d’arbitrages entre services.
Plan d’aménagement 2016-2035
1. Pouvez-vous me confirmer que les 5000 hectares prévus au départ en futaie régulière passent eux aussi en futaie irrégulière ?
• Je vous confirme que l’ensemble du massif fait désormais l’objet d’un traitement en futaie irrégulière. Néanmoins, il est encore possible que des parcelles en phase avancée de régénération en futaie régulière soient parcourues par des coupes. C’est notamment le cas quand il reste une faible densité d’arbres sur pied. Par ailleurs, en cas de dépérissement sévère des coupes dites « rases » peuvent toujours avoir lieu mais nous espérons évidemment ne pas avoir à y recourir.
2) les proportions annoncées Chênes 49% et pins 60% sont elles maintenues ? Et pourquoi ? Pourquoi persistez à privilégier le pin comme second essence de mélange, si on se trouve sur une parcelle de feuillus ?
Dans les objectifs de gestion, nous définissons pour chaque unité de gestion (parcelle ou sous-parcelle) une essence objectif. C’est l’essence qui, au vu du peuplement en place, de ses potentialités, est considérée comme devant former la matrice principale, étant entendu qu’il y a évidemment d’autres essences présentes en même temps dans l’unité de gestion. Sur ce massif, les deux principales essences objectif (page 95) retenues pour l’aménagement sont le chêne sessile (43 % de la surface en sylviculture) et le pin sylvestre (49% de la surface en sylviculture). La place du pin sylvestre n’est pas remise en question sur la totalité du massif à l’heure actuelle. Si cette essence a montré clairement ces limites sur les stations les plus médiocres ces 2 dernières années, elle présente sur des stations un peu plus fertiles toujours de beaux peuplements. Toutefois, comme il est indiqué à la page 96 « il convient néanmoins de préserver ou de retrouver autant que possible le caractère mélangé des peuplements , pour prévenir la constitution de pinèdes pures ».
Par ailleurs, dans les peuplements dominés par les feuillus, la présence du pin sylvestre en mélange minoritaire ne pose pas de problème particulier. Bien dosé, il est même plutôt favorable à la régénération du chêne, de par son houppier assez clair qui permet un apport de lumière suffisant pour la régénération.
2. Pourrais je avoir une carte actualisée des peuplements du massif..La carte IGN ne semblant pas exact d’après vos dires ?
La carte des peuplements la plus actuelle est celle du document d’aménagement (pièce jointe). Attention évidemment à la lecture de ce type de carte. « Chênaie » ne signifie pas qu’il n’y a que du chêne mais qu’il est dominant par rapport à un seuil fixé dans le protocole d’inventaire. Même réflexion évidemment avec le pin.
4)quel est le budget biodiversité pour l’année 2021-2022 ? Et quels interventions précises sont programmées dans ce sens ?
A ce jour nous n’avons pas encore de budget défini pour l’année 2022 dans ce domaine. Je mets mon collègue du Service Environnement et Accueil du Public en copie de ce mail, qui pourra vous préciser les interventions réalisées sur Fontainebleau en 2021. A noter qu’il est prévu dans les prochaines années une augmentation du financement par l’Etat de la Mission d’intérêt Général BIO dont la forêt de Fontainebleau devrait bénéficier.
5) pour revenir au plan, quel est la stratégie d’élimination du pin dans le massif, notamment concernant des parcelles partiellement en résinées par de jeunes pins sylvestres (ex parcelle 220 et 240) plaine entre le Cabaret Masson et la Maison Forestière de Bois-Le-Roi.
La parcelle 220 présente une surface de 27 ha et est composée de 2 grands types de peuplements, « chênaie-hêtraie » d’une part et « autres chênaies ». Le chêne sessile y est présenté comme l’essence objectif. Cette parcelle est en fait divisée en plusieurs unités de gestion. L’une d’entre elles (7 ha, partie clôturée) est au stade de la régénération, cette phase ayant été entamée il y a plusieurs années, il n’est techniquement plus possible aujourd’hui de repasser par une irrégularisation à court terme. Toutes ces parcelles en régénération font l’objet de suivis tous les ans ou tous les 2 ans ; Sur cette parcelle, l’objectif de régénération en chêne est maintenu mais les sécheresses de 2018 à 2020 ont impacté fortement celle-ci. Un enrichissement par plantation à faible densité de chêne sessile, chêne pubescent et charme est prévu pour l’hiver prochain afin de permettre la réussite de ce renouvellement. Par contre, il n’est pas prévu d’éliminer systématiquement les pins mais uniquement ceux qui posent problème pour la régénération des chênes et autres feuillus.
Le principe est un peu le même pour la P240 dont la partie engrillagée devrait être enrichie en chêne pubescent et alisier torminal l’hiver prochain.
6)Dans un compte rendu de l’ONF datant de 1968 et présentant un nouveau plan d’aménagement du massif, Xavier de Buyer, chef de centre évoquait déjà les mêmes problèmes qu’aujourd’hui. D’abord la sécheresse du massif : On constate un abaissement de la nappe phréatique et un assèchement général du massif qui précipite le dépérissement de certains peuplements : sur 8700 hectares : 1500 hec de hêtres, chênes et résineux sont dans un état déplorable...
Les problèmes actuels ne semblent pas nouveaux, même s’ils semblent s’être étendus. Quels sont les secteurs de la forêt les plus touchés par le stress hydrique?
L’ensemble du massif, installé sur un substrat sableux, est évidemment touché par ce phénomène à l’exception des parcelles situées non loin de la Seine. Les secteurs les plus touchés sont ceux où le sol est le plus superficiel et où donc la réserve d’eau utilisable par les arbres est la plus faible. Cela correspond finalement de manière grossière à la catégorie « faible enjeu de production » de la carte « enjeux de production » de l’aménagement (ci-joint). Evidemment, c’est un peu plus complexe que ça car les variations en termes de profondeur de sol sont parfois très rapides dans ce massif. De même, la position topographique (plateau, haut de versant, bas de versant) joue un rôle vis-à-vis de l’alimentation en eau.
7) concernant la coupe des chênes, il semble que l’âge de coupe ait été abaissé de 250 à 200 ans. Pourquoi ?
Il est effectivement précisé à la page 96 du document que l’âge d’exploitabilité est passé à 200 ans pour le chêne. C’est essentiellement dû au constat que la plupart des peuplements ayant aujourd’hui atteint cet âge (datant donc du Ier empire) sont pour la plupart incomplets du fait des phénomènes de dépérissement récurrents sur ces individus. Cette notion d’âge d’exploitabilité est de toute manière à prendre avec précaution car sur le terrain, nous ne définissons pas si un arbre doit être prélevé par rapport à son âge mais par rapport à son diamètre, à son état sanitaire, sa qualité et par rapport à son rôle dans le peuplement. Ainsi lors d’un martelage, un arbre de 150 ans de mauvaise qualité qui va gêner un bel arbre de 40 ans pourra être prélevé. En revanche, un arbre de de 220 ans, sain, présentant soit une qualité technologique supérieure, soit un intérêt paysager particulier pourra ne pas être prélevé. On gardera par ailleurs sur pied des arbres sénescent pour leur rôle vis-à-vis de la biodiversité.
8) Même si l’on réfléchit de manière sylvicole et non pas de manière purement écologique, le mélange dans la plupart des parcelles se résume à une uniformisation des essences, essentiellement chênes et pins. Y’a t’il des solutions pour y introduire plus d’espèces de feuillus et lesquels, à part le chêne pubescent ?
Les essences forestières présentent en fait des stratégies différentes. On distingue notamment les espèces dites « sociales » comme le chêne, le pin ou le hêtre qui vont avoir tendance naturellement à compter de nombreux individus groupés (même si l’homme favorise aussi ce phénomène par la sylviculture) et des espèces « accompagnatrices », comme le merisier, l’alisier torminal, le cormier. On va les trouver plutôt à l’état isolé ou par petits bouquets dans les peuplements. Les peuplements purs de ces essences sont rares et issus exclusivement de plantations. Dans chaque peuplement dominé par une espèce sociale, notre travail est aussi de nous assurer que les autres espèces soient présentes.
Il est donc possible dans le cadre des travaux sylvicoles et des martelages par la suite de favoriser autant que faire se peut ces essences feuillues « accompagnatrices » mais qui ne composeront pas la majorité du peuplement. Dans toutes nos plantations de feuillus, nous nous efforçons d’introduire un pourcentage d’autres essences. Le chêne pubescent a, lui, vocation à enrichir la population de chêne par sa plus grande capacité à résister au stress hydrique. Nous essayons de le privilégier dans la mesure du possible. A l’heure actuelle nous n’avons pas d’autres feuillus méridionaux prévus en implantation à Fontainebleau mais cela pourrait être le cas à l’avenir.
A noter que c’est l’intervention de l’homme qui assure globalement le mélange d’essence à l’instant t dans un peuplement. Sans ça la dynamique forestière va naturellement tendre vers des peuplements monospéficiques avec un stade final dit « climacique » dominé par une essence d’ombre, le hêtre notamment sur certains secteurs de la forêt (ex : RBI Gros Fouteau). Le mélange, dans ces peuplements laissés en libre évolution est forcément temporaire et suit une phase d’effondrement de l’espèce dominante.
9)Que pensez de l’affirmation de certains, se basant sur le rapport de la fédération des associations du Val de Seine, prétendant qu’à terme du plan, en 2035, 92% des hêtres seront coupés, 100 % des chênes pédonculés, 65% des bouleaux et tous les châtaigniers ?
Ces affirmations sont évidemment infondées voire totalement absurdes. Le contraire est d’ailleurs clairement écrit dans le document d’aménagement. Ces essences, bien qu’elles ne soient pas considérées comme essences objectif de par leur contraintes vis-à-vis du climat futur (hêtre, Ch pédonculé) ou de leur comportement (bouleau) ont toute leur place dans la forêt. Pour le châtaignier, il y a néanmoins un prudence à maintenir car la maladie de l’encre décime actuellement les châtaigneraies de la Région. Le sols sableux de Fontainebleau devraient toutefois être moins favorables au pathogène.
10)N’Y a t-il pas un argument mis trop en avant : c’est à dire, les arbres sont dépérissants, on les coupe avant de ne pouvoir rien en tirer financièrement ?
L’ONF compte parmi ces missions la fourniture de bois pour la société. C’est aussi cela qui permet de financer les autres fonctions de la forêt (Accueil et préservation de la Biodiversité). Des chênes pour lesquels des générations de forestiers se sont succédées depuis 200 ans afin de travailler à leur profit et leur permettre d’atteindre ces dimensions et cette qualité ne seront effectivement pas maintenus sur pied (sauf contexte particulier, notamment valeur biologique forte) si le risque de dépréciation de la qualité du bois dû au dépérissement est trop fort.
11) Combien rapporte les coupes de bois à Fontainebleau : chiffres 2019 et 2020 svp
Nous n’avons pas actuellement de données individualisées pour le massif de Fontainebleau concernant les ventes de bois. Par ailleurs, le prix de vente en lui-même ne veut finalement pas dire grand-chose car il doit être mis en parallèle avec l’ensemble des recettes et des charges (coûts des travaux sylvicoles, d’accueil ou environnmentaux, d’entretien de la voirie, frais de structure,…etc). Etablir ce bilan de gestion fait partie des objectifs de l’Agence d’ici la fin d’année. Pour information les ventes de bois organisées par l’ONF sont en ligne sur le site https://ventesdebois.onf.fr et les données sont publiques. Vous pouvez y trouver le détail des coupes, par parcelle, par produits. En recherchant les ventes passées, vous pouvez y trouver pour chaque coupe l’acheteur et le prix auquel il a acheté le bois.
12) Puisque le plan d’aménagement 2016-2035 est le colonne vertébrale de l’action sylvicole de l’ONF et qu’il sert de canal réglementaire, comment peut-on s’en écarter en adaptant la sylviculture aux difficultés des peuplements, alors qu’il est intrésèquement plus valable ?
Le document d’aménagement constitue en effet le guide de notre gestion. Il est globalement toujours valable à ceci près qu’une partie des parcelles prévues en régénération (autour de 1000 ha à priori) ne le seront pas car désormais gérées en futaie irrégulière. Ceci implique un circuit de validation des coupes notamment un peu plus long mais pas impossible à partir du moment où c’est justifié techniquement. Une remesure des placettes permanentes est prévue en 2024. Ce sera l’occasion de faire un point sur l’évolution de la forêt et de réajuster le document d’aménagement.
Bien cordialement,
Matthieu Augery Agence territoriale Ile-de-France Est Chef du service forêt 217 bis rue grande 77 300 Fontainebleau
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