Cout des invasifs !!!!!!!!!!
Dans un rapport publié EN SEPTEMBRE 2023, Le « Giec de la biodiversité » alerte sur la gravité des impacts créés par les espèces invasives. Ces invasions sont favorisées par l’érosion de la biodiversité.
Crabe enragé, ambroisie à feuilles d’armoise, fourmi électrique… Peu connues du grand public, les espèces exotiques envahissantes représentent une menace mondiale (et sous-estimée) pour l’environnement et les sociétés humaines, alerte l’IPBES — le « Giec de la biodiversité » [1] — dans son dernier rapport, publié EN SEPTEMBRE.
Rédigée par quatre-vingt-six experts internationaux, cette évaluation scientifique, qui a nécessité quatre ans et demi de travail et l’analyse de plus de 13 000 études, est la plus complète jamais réalisée sur le sujet. Elle dresse un inquiétant constat sur la hausse fulgurante des « invasions biologiques ».
Introduites par les activités humaines dans des endroits non adaptés à leur présence, les espèces exotiques envahissantes sont impliquées dans 60 % des extinctions de plantes et d’animaux à travers le monde, établissent les auteurs de ce rapport. Si rien n’est fait pour freiner leur déploiement, le coût de ces invasions, qui dépasse chaque année plusieurs centaines de milliards de dollars, devrait continuer d’augmenter dans les décennies à venir.
L’introduction — intentionnelle ou non — d’espèces exotiques dans de nouveaux environnements ne date pas d’hier. Au XVIe siècle, l’arrivée aux Antilles de rats, embarqués par mégarde dans les cales des navires marchands, a mené au déclin des oiseaux sur place. Le serpent arboricole brun, introduit à Guam, dans l’est-sud-est de la mer des Philippines, après avoir voyagé dans le matériel militaire largué par les États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale, a quant à lui dévoré la quasi-intégralité des oiseaux, lézards et chauve-souris de l’île.
Durant ces dernières années, le phénomène a cependant atteint un rythme « inégalé », constate l’IPBES. Chaque année, environ 200 nouvelles espèces exotiques sont enregistrées à travers le monde. D’ici 2050, les scientifiques s’attendent à ce que leur nombre soit un tiers plus élevé qu’en 2005.
L’explosion des transports
Parmi les causes de cette envolée : l’augmentation « vertigineuse » des échanges internationaux. « Au cours des cinquante dernières années, les transports ont augmenté de 1 000 %, dit à Reporterre Philippe Grandcolas, directeur adjoint de l’Institut Écologie et Environnement du CNRS et observateur à la plénière de l’IPBES. Plus on transporte, plus on court le risque d’introduire des espèces exotiques, malgré toutes les précautions que l’on peut prendre. »
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Le frelon asiatique, qui dévore les abeilles domestiques françaises, est ainsi arrivé dans l’Hexagone en 2004 via une cargaison de poteries chinoises. Les moustiques ont une fâcheuse tendance à se cacher dans les pneus ; les fourmis, dans les plantes. Les cargaisons de bois et de fruits sont elles aussi à risque, a indiqué lors de la conférence de presse présentant le rapport, EN septembre, Franck Courchamp, qui fait partie des principaux auteurs de ce rapport.
En mer, les coques des bateaux peuvent faire office de « taxis » pour les organismes envahissants. Le rejet des eaux de ballast — utilisées pour stabiliser les plus gros navires — est également susceptible de libérer dans l’océan des espèces exotiques. Leur introduction est parfois intentionnelle : originaire d’Amérique du Nord, la perche soleil a par exemple été lâchée dans les lacs français pour la pêche récréative. Très vorace, elle y fait aujourd’hui des ravages.
Le réchauffement leur est bénéfique
Les transports ne font cependant pas tout. La dégradation de la nature — pollution, bétonisation, fragmentation, etc. — a considérablement réduit sa résistance aux invasions biologiques. « Les écosystèmes sont un peu comme une horloge suisse, explique Franck Courchamp. Chaque espèce est un rouage, et interagit avec les autres. Si l’écosystème est dégradé, l’horloge a moins de rouages, et davantage d’espaces vides. Il est alors très facile pour une espèce envahissante de s’y installer. »
Le chercheur prend l’exemple de la vingtaine d’espèces de fourmis envahissantes recensées à travers le monde : « Quand l’écosystème est dégradé, elles trouvent moins de prédateurs et de compétiteurs. Il est plus facile pour elles de s’y introduire. » La fourmi d’Argentine, notamment, tire profit de la fragmentation des écosystèmes du sud de la Californie pour s’y établir, indique le résumé aux décideurs.
Les infrastructures terrestres, marines et aquatiques — routes, oléoducs, canaux, chemins de fer, etc. — peuvent par ailleurs faciliter la circulation d’espèces exotiques invasives jusqu’à des zones préservées. Leur nombre est ainsi 1,5 à 2,5 fois supérieur sur les pontons et les pilotis artificiels que sur les roches naturelles, note le résumé du rapport.
Le changement climatique joue lui aussi un rôle dans leur déploiement. Ces espèces peuvent en effet tirer directement profit du réchauffement des températures, ou bien de la souffrance des espèces locales qui en résulte. « Le cas classique, c’est le moustique tigre, dit Philippe Grandcolas. Aujourd’hui, il survit à l’état d’œuf pendant l’hiver en France, car les hivers ne sont plus assez rigoureux pour éradiquer les populations. Autrement, s’il était décimé durant l’hiver, il serait obligé de recommencer sa colonisation chaque année. »
Impliquées dans 60 % des extinctions
Les conséquences de ces invasions biologiques peuvent être extrêmement graves. Sur les 37 000 espèces exotiques recensées à travers le monde, plus de 3 500 ont des effets néfastes connus. Elles sont aujourd’hui considérées comme l’un des cinq principaux facteurs de perte de biodiversité — aux côtés des changements dans l’utilisation des terres et des mers, de l’exploitation directe des espèces, du changement climatique et de la pollution. Elles sont à elles seules responsables de 16 % des extinctions mondiales d’animaux et de plantes, et impliquées dans 60 % des extinctions liées à d’autres facteurs.
L’espèce humaine leur est tout aussi vulnérable. Les invasions biologiques peuvent avoir des effets catastrophiques sur les ressources alimentaires. La noctuelle américaine du maïs fait ainsi des ravages agricoles en Afrique, en Asie et en Océanie, signale Franck Courchamp. En Inde, une espèce de moule, Mytilopsis sallei, a provoqué le déplacement de mollusques locaux, au désespoir des pêcheurs.
Les espèces exotiques invasives peuvent également créer de graves problèmes sanitaires. Certains moustiques peuvent servir de vecteurs à des maladies comme la malaria, la dengue, le chikungunya, le Zika ou la fièvre jaune. Des plantes, comme l’ambroisie à feuilles d’armoise, émettent des pollens allergènes affectant plus de 13 millions de personnes en Europe. « La jacinthe d’eau peut gêner la circulation fluviale, des termites abîmer les bâtiments... », poursuit Franck Courchamp. Les femmes, les peuples autochtones, les minorités ethniques, les migrants, les ruraux pauvres et les communautés urbaines sont les plus affectés par ces effets, précise le résumé du rapport.
Des dommages qui dépassent 400 milliards de dollars par an
L’IPBES estime que les coûts liés aux dommages provoqués par ces espèces, ainsi qu’à leur gestion, s’élèvent à 423 milliards de dollars par an (environ 392 milliard d’euros). « C’est colossal », commente Philippe Grandcolas. Ce chiffre ne représente cependant que « la pointe émergée de l’iceberg », souligne Franck Courchamp. Les études sur les conséquences économiques des espèces exotiques invasives ne portent en effet, pour le moment, que sur 3 % d’entre elles.
Avec ce rapport, l’IPBES espère inciter les gouvernements à prendre le problème des invasions biologiques à bras le corps. Seuls 17 % des pays disposent, pour le moment, de lois ou de réglementations traitant spécifiquement de ces questions. Les experts recommandent d’investir notamment dans la prévention, par exemple en formant des équipes à la reconnaissance des espèces invasives dans les ports et les aéroports. « Empêcher à la source les espèces d’arriver, c’est vraiment la clé », souligne Franck Courchamp. Une fois l’espèce installée, le confinement, le contrôle et l’éradication peuvent s’avérer « efficaces » dans certains contextes, note l’IPBES.
Renforcer les mécanismes de coopération internationale s’avère également crucial. « Il n’y a pas que le climat qui est global, insiste Philippe Grandcolas. Il doit y avoir une gestion commune de ces problèmes-là aussi. » Autre piste évoquée par l’IPBES : la restauration des écosystèmes. « S’ils sont en bon état, de manière générale, ils sont moins enclins à abriter des espèces exotiques », explique-t-il. « La biodiversité est résiliente, indique Franck Courchamp. Si on s’en donne les moyens, on peut faire marche arrière et retrouver des états plus fonctionnels qu’aujourd’hui beaucoup plus facilement qu’avec le changement climatique. »
Extrait du magazine Reporterre!!
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