L’engouement de l’escalade en forêt de Fontainebleau ne finit-elle pas par nuire à l’intégrité du patrimoine paysager d’un massif exceptionnel, de plus en plus banalisé, faute notamment de réglementation claire concernant les pratiques grand public. Toujours l’ambiguïté entre liberté individuelle et liberté collective, entre le n’importe quoi et les devoirs envers la nature et un Monument forestier, qui a tellement été défendu, autrefois. Et qui est devenu le lieu du « laisser faire ». Quand on voit l’état des sites rocheux, du Cuvier à Franchard Isatis en passant Les Trois Pignons, on voit surtout des blocs de grès constellés de tâches blanches, dues à l’abus de magnésie. Des sols compactés et sans vie, répercussion de piétinements répétés, des crashpads encore trop traînés sur le sable, souvent des déchets dus à des bivouacs, etc. Il est indéniable qu’il faut dès maintenant une réglementation et des contrôles de cette pratique, malheureusement. Compter sur le civisme des êtres humains est un concept bien dépassé. Mais pour donner un éclairage différent sur cette pratique, nous avons choisi d’interviewer Grégoire Clouzeau, membre délégué à titre honorifique puisque président de l'association de 1999 à 2009, du Cosiroc et rédacteur en chef de La Tribune Libre de Fontainebleau.
1)Comment
a évolué la pratique de l’escalade depuis les années 90 et quelles sont les dérives observées ?
« Le nombre de pratiquants de l'escalade à Fontainebleau n'a cessé de croître ces 30 dernières années. Portée dans un premier temps par les forts grimpeurs européens puis internationaux, la pratique du bloc s'est rapidement démocratisée ces 15 dernières années tant à l'international qu'en France. Si hier, Bleau recevait lors des vacances scolaires de Printemps (notamment) la visite de pratiquants aguerris, la forêt reçoit aujourd'hui la visite de gros groupes et de familles au niveau très hétéroclite, parfois même novice.
A ceux-là, il faut ajouter une population de grimpeurs plus urbains, en provenance des salles de blocs artificiels dont le nombre a explosé ces cinq dernières années.
La fréquentation est donc plus importante y compris sur les secteurs hors domaniale de Fontainebleau et dans tous les niveaux. Donc, outre les impacts liés à la surfréquentation (érosion, déchets... notamment) il faut ajouter les impacts provoqués par une méconnaissance des usages locaux (magnésie, semelles non essuyées avant de grimper...) ou liés à une pratique de consommation (non respect du site et des autres usagers). »
2)Depuis trente ans, à part des initiatives courageuses des Bleausards ou du Cosiroc, notamment pour faire passer le message des bonnes pratiques, l’Office des Forêts n’applique aucune réglementation, ni aucune recommandations sur ces pratiques. L’escalade est ainsi complètement absente des panneaux d’information du public sur les sites très fréquentés par les grimpeurs. La pratique est donc. Libre et sans contraintes. Quelles mesures devraient prendre l’ONF ?
« Ce n'est pas tout à fait exact car sur de nombreux panneaux d'information, l'ONF avait indiqué quelques informations mais plutôt tournées sur la sécurité et l'orientation. Par ailleurs, l'ONF n'a pas vocation à édicter les règles des différentes pratiques des sports et loisirs. C'est le rôle des fédérations et autres associations. Les règles des bonnes pratiques sont les mêmes pour tous les usagers et relèvent du bon sens ! Ainsi, il est interdit à tous visiteurs de stationner devant les barrières forestières. Cela peut gêner les secours et les évacuation que l'on soit grimpeurs, randonneurs, Vététistes, chasseurs. C'est le cas aussi pour le ramassage des déchets, la lutte contre l'érosion en restant dans les chemins, le respect des autres usagers (musique diffusée depuis un smartphone, slackline en travers du chemin, blablabla..)
L'escalade de bloc est la forme la plus pure de l'escalade sportive dite aussi libre. Ici, on n'a pas besoin de corde et certains ne mettent même pas de chaussons ! Il n'y a pas d'autre règle que de respecter le site et les autres... et de se faire plaisir. Donc, à part se doter des moyens nécessaire pour faire respecter les règles de base de fréquentation d'un site naturel, l'ONF n'a rien à faire de différent pour gérer les visiteurs grimpeurs. Ah si, peut-être réaménager les parkings et organiser la diffusion du public dans la forêt au lieu de concentrer les pratiquants sur un même site lourdement aménagé. »
3)On constate d’ailleurs l’absence de réglementation concernant l’ouverture et le brossage de nouvelles voies ? Notamment avec l’utilisation de brosses métalliques. Quels contrôles peuvent avoir les associations et l’ONF sur ces pratiques qui semblent se généraliser ? De plus il semble que le brossage « en toute liberté » met en danger la biodiversité, notamment concernant l ‘existence de lichens ou de mousses rares. Que faire ?
« Le brossage pour l'ouverture de nouvelles voies reste une affaire de spécialistes et heureusement, la très grande majorité des visiteurs de Bleau ne brossera jamais un caillou (NDLR : surnom du bloc de grès) de sa vie. Donc, non, cette pratique ne se généralise pas. Par ailleurs, la brosse métallique est un outil indispensable et qui fait bien moins de dégât que certaines pratiques. Enfin, lorsque les grimpeurs ont ouvert les premiers circuits balisés entre 1947 et 1980, la majorité des secteurs de la forêt était "naturellement" déboisée. La mousse et les lichens y poussaient donc beaucoup moins vite. Enfin, l'identification des lichens est très complexe et les naturalistes sont peu enclins à dévoiler la localisation des mousses et lichens rares dans cette forêt. Si l'ANVL (Naturalistes de Fontainebleau) informait le Cosiroc des secteurs précis (en dehors des RBI) où le brossage menace certaines stations, cela serait déjà une avancée considérable. Au demeurant, certaines espèces sont rares en Ile de France ou même en France mais pas à l'échelle européenne ! »
4)Concernant la sur utilisation de la magnésie, que faut il faire pour la limiter au maximum ? Apparemment une nouvelle sorte de magnésie qui se brosse plus difficilement fait son apparition. Faut il l’interdire? Sur le terrain, on observe que beaucoup d’étrangers ont de mauvaises pratiques. Une campagne d’information en anglais est elle nécessaire ?
« Là encore, on entend beaucoup de chose mais qui sont peu vérifiées scientifiquement. Il est clair que plus il y a de grimpeurs, plus les traces de magnésie sont visibles. Il est vrai aussi que dans certains sites hier peu fréquentés, l'apparition des grimpeurs le long de certains sentiers Denecourt peut provoquer une pollution visuelle très désagréable. C'est le cas de la grotte Gargantua aux Gorges du Houx par exemple. Les campagnes de communication en français, anglais mais aussi dans de nombreuses langues étrangères sont indispensables et doivent être faites très régulièrement. Les associations le font avec leurs tout petits moyens. C'est là que l'ONF doit investir et s'appuyer sur les communauté de pratiquants locaux !!!!!!!!!!!
Le réseaux des CHOUETTES c'est bien mais tellement insuffisant !!! Quant à interdire la magnésie...bonne chance, surtout avec les moyens humains actuels de l'ONF. D'autres pays plus structurés s'y sont essayés sans grand succès. C'est le cas dans certains sites des USA où une magnésie couleurs rocher local est proposée (mais franchement cela se voit quand même) ou à Albarracin, l'un des plus sites de blocs d'Espagne qui a interdit son usage sur certains secteurs mais sans succès. »
5)La sur utilisation de la magnésie donne une image plus que déplorable concernant les sites d’escalade. Des rochers constellés de blancs, en permanence ne réflètent pas une forêt d’exception. Que faire ?
« Il n'y a pas d'autres solutions que le nettoyage à l'eau et à la brosse douce et un usage modéré. Pour revenir à votre question précédente, il existe des produits liquides ou mélangés qui ont donné de bons espoirs au début mais qui semblent plus difficiles à retirer des rochers (ce n'est pas prouvé). »
6)Le Cosiroc, le CEB, l’ONF sont ils prêts à lancer une grande campagne sur les réseaux sociaux-démocrates concernant tous ces problèmes, qui sur le terrain ne semble pas préoccuper les grimpeurs, à part les Bleausards ?
« Oui sans doute. il y a déjà eu plusieurs campagnes dans le passée et relayées régulièrement sur les réseaux mais elles ont toutes été lancées sur des initiatives personnelles (parfois associatives) et non par les instances officielles !!!! »
7) Rappelez nous quelle est la réglementation concernant le tracé officiel des voies. Qui trace ou retrace les voies et dans quelle modalité?
« Le balisage des circuits est soumis à l'autorisation du gestionnaire (ici l'ONF) qui s'appui sur l'expertise de la CEB dont le Cosiroc est membre pour rendre sa décision. La liste des sites sécurisés par l'ONF et autorisé au balisage est défini dans une charte ONF/Cosiroc. Il n'y a que très peu de création de circuit depuis les années 90 en forêt domaniale sauf parfois en échange de l'abandon d'un ancien circuit usé et oublié. »
8) Quelle est votre position concernant l’organisation de compétitions d’escalade dans le massif ? Y êtes vous favorable ?
« Nous, tant au Cosiroc qu'à la TL2B y sommes totalement opposés. D'ailleurs, nous avons la même position quelque soit l'évènement et le sport dès lors qu'il entraine un usage exclusif du site pour quelques heures et qu'il y attire plus d'une cinquantaine de personnes en même temps. »
9) Merci de nous livrer des conclusions, des solutions pour l’avenir ….
« Il y aurait tant à faire pour repenser l'accueil des touristes "verts" dans le Pays de Fontainebleau au sens géographique le plus large du terme qu'il faudrait en faire un programme ! Hélas, cela suppose des moyens et surtout une volonté commune. Très difficile quand déjà la ville de Fontainebleau et la Communauté d'agglo ne vont pas toujours dans le même sens ! Alors à l'échelle des trois départements du sud francilien qui abritent des secteurs de blocs, je vous laisse imaginer ! »
Nous remercions Grégoire Clouzeau de nous avoir accordé du temps. Cela dit et nous allons dans le même sens que lui, il manque, pour préserver la forêt de Fontainebleau, une grande campagne d’information sur le terrain, en liaison avec les associations de grimpeurs. D’ailleurs même les fabricants de magnésie pourrait donner l’exemple. Mais cela ne résous pas la situation actuelle des sites défigurés. On a souvent l’impression d’un gestionnaire qui dirait : la situation est comme ça, on ne peut rien faire. Alors que c’est faux ! Il y a une responsabilité de tous les grimpeurs oui. Mais le gestionnaire de la forêt a une responsabilité énorme quand à la protection des sites !!!
Propos recueillis par Pascal Villebeuf
Reporter
Spécialiste de la forêt de Fontainebleau, depuis 1984.
Membre du collectif de défense des Forêts d’Ile-de-France.
LÉGENDE PHOTOS :
CE MERCREDI 1ER JUIN, nous avons été faire un tour au Bas Cuvier, là ou tout a commencé ou presque en matière d’escalade. Nous avions récemment parlé de Robert Paragot, célèbre alpiniste qui avait ouvert certaines voies au BasCu. En flânant parmi ces très beaux blocs de grès, on a toujours la même impression. Le bloc n’est pas respecté par tout le monde. Ceux qui utilisent le paillasson, les brosses et le sac à pot ne sont pas légions. Et la sur-utilisation de la magnésie (héritage malsain des salles indooors) reste bien sur d’actualité. Regardez ces blocs constellés de blancs. Quelle image pour une forêt dite d’exception. Sur le parking du Bas Cuvier il y a bien un panneau à destination des grimpeurs. Mais mais… On y voit la photo géante d’un grimpeur et en tout petit, très très petit, trop trop petit, les conseils au grimpeur :
Essuyer ses chaussons sur un tapis oui ok mais un paillasson c’est mieux, remporter ses déchets : waou quel scoop, ne pas pénétrer dans les réserves biologiques : eh oui bp créent des nouvelles sentes qui mettent en danger la biodiversité et je ne parle pas de ceux qui font leur petit commerce en brossant de nouvelles voies sans respecter les lieux..Ne pas piétiner les jeunes plants : MDR, tous les sites d’escalade sont piétinés, le sol est tellement tassé qu’une fourmi ne pourrait circuler. Et bien sur rien sur la magnésie. Pas un seul appel à la modération !! Bref y a du boulot et ce n’est pour moi pas le bon panneau pour faire de la pédagogie. J’ai quand même rencontré des jeunes Parisiens qui m’ont dit qu’ils allaient nettoyer les prises avec de l’eau. Bravo à eux!!!
Si vous êtes spécialiste de la forêt comme vous dites, vous devriez savoir que nettoyer la magnésie avec de l'eau sur les rochers précipitent sa pénétration dans le rocher. Si la magnésie sur les rochers pouvait s'enlever avec de l'eau, ça se saurait depuis longtemps.